Rien n’existe que l’écrit
Mais parler peut aider.
J’ai été un peu taquin hier soir en disant devant témoins qu’écrire n’était pas difficile. Était-ce même de l’insolence ? Et pourtant je le crois et m’en suis rendu compte en le disant. De l’intérêt de parler avant de réfléchir.
Malgré toutes les retouches nécessaires au tombé d’une phrase, c’est souvent plus simple qu’on ne le croit, à défaut d’être toujours facile. Sur ce point, la modestie n’est d’aucun secours – et d’un charme douteux, préférez-lui l’humour. On ne trouve peut-être pas tout de suite la solution, mais on apprend à reconnaître la justesse d’une phrase, d’un passage, et à persévérer jusqu’à atteindre ce moment où tout coïncide. Et on apprend à aimer la recherche autant que la solution, comme un kōan à remâcher jusqu’à l’illumination. C’est une question d’habitude et du goût particulier qui se forme au cours de la pratique. Les écrivains les plus personnels cultivent et chérissent des manies qui les guident autant qu’elles les aiguillonnent, et qui déforment toutes les couches du langage, ponctuation comprise. Appelez ça le style. Quand telle manie, par hasard ou habitude, revient sur la page, l’écrivain la reconnaît et s’en empare. C’est un indice qu’il est sur la bonne voie, qu’à la montée lente et laborieuse va bientôt succéder la descente où tout s’accélère. Le plaisir l’emporte sur l’effort, l’occulte ; et d’ailleurs, que ce grand mot d’effort – de l’écrivain comme du lecteur – ne dupe personne ; il ne gâche pas le plaisir, mais l’affine et le rend plus vif. Le goinfre ne connaît que la faim ; il faut apprendre à goûter ses phrases. Lire d’autres manuscrits que les siens aide aussi à exercer son regard. Lire, lire, lire – toutes les solutions sont là.
Je suis rarement satisfait de ce que je dis ou de la manière dont je le dis, mais j’ai besoin de parler pour penser et écrire, ou plutôt je n’écris que pour pallier les carences de mes paroles, et amender mes fautes de français. (Si comme moi vous oubliez le début de vos phrases avant même de les finir, vous savez de quoi je parle.)
Toutes ces déficiences me poussent à écrire pour clarifier mes idées, mais parler m’est nécessaire pour « chiquer » le matériau de mes phrases avant de les écrire, comme un groupe rode ses chansons en concert avant de les enregistrer en studio. Le salon du jeudi est ainsi devenu mon moment préféré de la semaine. En tant que cadre d’écriture, il fonctionne autant pour moi que pour les autres membres (ce sont eux qui me donnent des consignes pour écrire, pas l’inverse, mais j’entretiens le malentendu parce qu’il m’arrange). J’aurais dû commencer plus tôt à tenir salon et vous encourage à m’imiter ; un groupe WhatsApp ou Signal suffira. Parlez de vos lectures, essayez de formaliser ce que vous ressentez, éprouvez la solidité du matériau que chacun élabore au fond de soi avant de le figer sous forme écrite (composée si possible dans un beau caractère). Et surtout, puisez l’énergie et l’inspiration pour continuer d’écrire.
Les gens sont toujours surpris quand je leur dis que j’écris pour oublier. Et en effet, très souvent, d’une semaine à l’autre, je n’arrive pas à me rappeler ce que j’ai écrit. C’est précisément mon intention – ne plus y penser, m’en défaire pour continuer d’avancer, quitte à y revenir par la suite. Toute phrase nécessite un point, toute pensée une forme, un contour éventuellement provisoire qui l’isole et la désigne. En ce qui me concerne, cela passe par l’envoi d’une lettre, la publication d’une note, chacune dotée d’un numéro et d’une URL, quelque chose auquel je peux me référer. Tant que ce n’est pas écrit et mis à l’écart, ce n’est pas pleinement vécu ou intégré par la sensibilité. Rien n’existe que l’écrit.
A priori, sauf contorsion exceptionnelle de ma part, il n’y aura pas de lettre le vendredi 27 décembre, mais je reviendrai dès le 3 janvier, et le premier salon de l’année suivra le jeudi 9. Passez de bonnes fêtes de fin d’année.
Rappel : Vous avez jusqu’au 31 décembre pour adhérer au club d’écriture et bénéficier jusqu’à 20 % de remise permanente.
Cette semaine sur le blog : Intériorité, Exemples & Coïncidences.
Vous avez une question ? Posez-la moi par retour d’email.
Vous voulez écrire davantage et mieux ? Adhérez au club d’écriture.
Bloqué(e) dans l’écriture d’un roman ? Sollicitez mon aide.