Inventez le moins possible

Dites simplement ce que vous ressentez, sans modestie ni excès.

Inventez le moins possible
Camille Pissarro, Femme se baignant les pieds dans un ruisseau (détail), 1894-1895. Source : The Art Institute of Chicago.

Puisqu’il s’agit d’écrire au naturel (essayer de bien écrire, c’est déjà mal écrire), je vous suggère de suivre les excellents conseils que Stendhal donnait dans ses lettres à sa sœur Pauline :

… tu t’imagines qu’il faut préparer ta lettre et en faire un brouillon ; c’est la plus sotte manie qu’on puisse avoir, car, pour avoir un bon style épistolaire, il faut écrire exactement ce qu’on dirait à la personne si on la voyait […].

Ou encore, à propos d’un livre de Madame de Staël :

… un livre horriblement enflé (c'est-à-dire dont les expressions exagèrent les pensées et les sentiments de l’auteur). Ce défaut est le pire de tous à mes yeux ; c’est celui qui éloigne le plus la sensibilité. Il ne faut écrire que lorsqu’on a des choses grandes ou profondément belles à dire, mais alors il faut les dire avec le plus de simplicité possible, comme si l’on prenait à tâche de les empêcher d’être remarquées.

C’est ce que j’appelle écrire à fleuret moucheté. Ah, ce qu’on aimerait être la sœur de Stendhal, ne serait-ce que pour s’entendre dire : « Écris-moi donc, petite ingrate. » Il en était amoureux comme il avait été amoureux de leur mère (qu’il voulait « couvrir […] de baisers et qu’il n’y eût pas de vêtements », dans Vie de Henry Brulard), morte en couches alors qu’il n’avait que sept ans. Il reprochait donc à sa petite sœur adorée (« je n’aimerai jamais de maîtresse autant que toi ») de ne pas assez lui écrire (« au regret que je sens de ce que tu ne m’écris pas je me croirais amoureux de toi »). Il lui écrivait pour lui dire comment et quoi lui écrire – « exactement ce que tu sens » – ce à quoi elle avait la modestie de trop peu consentir. Eh quoi, suis-je assez riche de pensées ou de sentiments pour égayer mon triste frère ? Avec toute la maladresse dont il est capable, il me confie un manuel pour le rendre heureux. J’ai déjà bien assez à faire de mes ennuis pour encore m’occuper des siens. (À Pauline Beyle : « Une fois dans le monde, tu seras accablée de l’abandon général, tu verras l’égoïsme isoler tous les êtres. Tu rencontreras avec la plus grande peine, non pas une âme héroïque, mais une âme sensible. »)

Mais y avait-il seulement quelqu’un pour lui répondre ? De l’asymétrie de leur correspondance se dégage une présence quasi fantomatique de la sœur, comme s’il écrivait à un être idéal en partie absent du modèle que son idolâtrie avait complété au point d’en faire un personnage, comme si à travers celui-ci il ne faisait jamais que se parler à lui-même, comme tout écrivain, du reste. Qu’il ait fini par se brouiller avec elle me pousse à le croire.

Imaginer n’est pas inventer de l’inédit, mais recombiner l’existant d’une manière inédite. Piochez dans la réalité des pièces détachées à raboter et assembler. Partez de ce qui vous touche, puis éloignez-vous progressivement ; c’est la seule manière de sentir ce que l’on écrit. Certains membres du club le font déjà très bien. Il leur suffit de changer quelques noms ou un pronom personnel pour que leur histoire se détache d’eux, cesse d’être purement intime et devienne nôtre.


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