Les amateurs soient loués

Où sont les amateurs, que je les embrasse ?

Les amateurs soient loués
John Singer Sargent, Carnation, Lily, Lily, Rose (détail), 1885-1886. Source : Tate Britain, Londres.

Je suis toujours ébahi de voir mes filles absorbées par leurs jeux (c’est-à-dire quand elles ne se chamaillent pas ; et alors quel répit), comme coupées du monde. Elles ont créé le leur. Il n’y a pas image plus juste du jeu gratuit de l’imagination, qu’aucune conscience de soi ne vient troubler ou entraver. À quel âge cesse-t-on de jouer ? À l’âge où l’on se voit agir, quand vient le doute que l’on ne fait peut-être pas les choses comme il faut.

C’est pourquoi on écrit si mal dès qu’on se soucie de bien écrire. Il faut être absolument zen et ne penser à rien, ou du moins pas à soi-même, devenir une enveloppe vide traversée par l’inspiration, qu’on ne retient surtout pas pour lui demander où elle va. Les peurs, si elles surviennent, suivent le même chemin. Ne rien retenir.

J’ai l’impression que le besoin de reconnaissance qui semble en partie motiver l’envoi d’un manuscrit à un éditeur provient des mêmes peurs qui enrayent l’écriture. Croyez-moi, publier ne change rien, ne vous laisse pas plus confiant qu’auparavant si vous ne changez pas vous-même. Et seule votre pratique de l’écriture peut vous changer. La répétition et la confiance et le savoir-faire et la joie qui viennent avec.

Ce qui m’étonne le plus, c’est l’absence d’une pratique de l’écriture en amateur. J’ai des amis qui s’exercent au dessin ou à la photographie pour le plaisir, mais aucun n’écrit dans un autre but que de publier. Ce serait comme s’il n’y avait que des athlètes de haut niveau ou des danseurs étoiles, sans nous autres mortels pour jouer et faire semblant. Cela dit quelque chose, il me semble, de l’absurde prééminence du livre sur d’autres formes de littérature (épistolaire, clandestine, personnelle). Où sont les amateurs ? J’aime à croire qu’ils écrivent en cachette, comme Emily Dickinson, pour le seul plaisir d’écrire, inoccupés de tout autre considération.

(Je n’ai d’admiration sincère que pour les deux extrêmes : les reclus qui ne se préoccupent que d’écrire, et les entreprenants qui se tachent les doigts d’encre en imprimant et vendant eux-mêmes leurs livres. Emily Dickinson et Virginia Woolf. Les uns se condamnent à plus ou moins brève échéance à la désolation où les plongera à coup sûr le manque de conversation avec leurs pairs, les autres s’imposent avec tout autant de courage l’embarras constamment renouvelé de devoir parler de soi (personne ne le fera à leur place). Le reste, qui constitue la très grande majorité des cas, fait ce qu’il peut ou ce qu’il doit et ne mérite que nos encouragements.)

Les punks l’avaient compris. L’ignorance, qui est l’autre nom de l’innocence, est une bénédiction. Les amateurs soient loués.


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