Je réserve dorénavant le premier salon de chaque mois à une présentation sur Zoom, au cours de laquelle je répondrai à une question d’écriture. Les membres auront accès aux enregistrements de mes présentations ainsi qu’à mes notes. La prochaine aura lieu le jeudi 2 octobre à 21 heures. Elle traitera du bon usage des dialogues.
J’ai profité de l’été pour redesigner de fond en comble le site web du club. La nouvelle version est en ligne depuis la fin de la semaine dernière et inutile de le préciser (ou de le taire par modestie), le résultat m’enchante.
Je me contentais jusqu’à présent de l’un ou l’autre des thèmes officiels de Ghost, la plateforme que j’utilise, mais d’une part, pouvant convenir à tout le monde, ils conviennent rarement à votre usage (bref, ils sont génériques), d’autre part, dès que vous vous éloignez un tant soit peu des styles par défaut (en injectant les vôtres), le thème commence à se disloquer et perdre toute cohérence. Tout est lié, le moindre changement a des répercussions infimes mais proliférantes sur le reste du design. Vous finissez par ajouter des dizaines et des dizaines d’exceptions aux styles préexistants, sans résoudre le problème sous-jacent (il faut souvent modifier la forme et le fond pour parvenir au résultat escompté). Plus l’impression d’habiter une maison témoin.
J’ai donc fini par m’y mettre. Concevoir et développer un site web ne diffère pas tant que ça de l’écriture d’un livre. La nature des détails change peut-être, mais l’attention aux détails est la même, ainsi que la capacité à considérer chaque détail conjointement aux autres, pour les faire fonctionner comme un tout organique. Les détails d’ailleurs n’existent pas, seules comptent leurs relations.
J’ai moins utilisé Claude que je ne pensais – la documentation de Ghost est suffisamment bien pensée et (presque) exhaustive. Je me suis contenté de le solliciter pour contourner un bug du moteur de rendu de Safari, avant de me rendre compte que mon design pouvait encore être simplifié et éviter par la même occasion ledit bug. Le problème d’un LLM (ou Large Language Model) est qu’il fera toujours ce que vous lui demanderez, sans jamais contester la pertinence de votre requête, ni descendre d’un cran en profondeur pour réduire le degré de complexité du problème que vous lui soumettez. Ah, il nous faudra encore un peu travailler.
Tenter quelque chose de nouveau a en outre le mérite de vous faire retrouver les sensations du débutant – la double impression de ne pas être à votre place et de perdre votre temps à essayer d’échapper à celle qui vous échoit par habitude, ou plutôt, par manque d’habitude. Les débuts sont si lents que le doute est permis : est-on vraiment fait pour ça ? Tous les débuts sont difficiles, surtout si vous êtes seul et sans mentor. C’est à ce moment-là qu’il faut persévérer, qu’il s’agisse d’un livre ou d’un site web, de prose ou de code – continuez d’écrire.
Les bienfaits d’une pratique régulière et fréquente (je viens à ce titre de doubler le rythme de parution de la lettre) finissent toujours par se manifester, plus ou moins vite, selon vos dispositions naturelles et la fréquence de vos séances d’écriture. L’impression d’acquérir une tactilité inédite, de sentir des choses que l’on ne ressentait pas auparavant, d’établir entre elles de nouvelles relations, de surmonter les obstacles au fur et à mesure qu’ils surviennent plutôt que de buter contre eux, de savoir d’emblée s’orienter afin de les minimiser, l’impression d’être continuellement en mouvement au lieu d’être à la traîne… L’écrivain inspiré danse plus qu’il n’écrit, et ne sait plus comment il a appris. Le talent lui semble inné. (N’allez surtout pas le croire.)
Et alors que les débuts sont hésitants, que l’on est presque sur le point d’abandonner avant même d’avoir essayé, on se dit à la fin qu’on aurait dû sauter le pas depuis longtemps.
Et je crois qu’un LLM (ou, mettons, un conseiller littéraire) peut vous aider à surmonter les débuts difficiles,
- en tant que partenaire de conversation ou sparring partner, qui pousse jusqu’à son terme la prémisse de vos écrits, en teste la logique et découvre les effets inattendus ; cela vous oblige à formaliser cette idée géniale que vous aviez en tête, ne serait-ce que pour vous rendre compte que ce n’est pas aussi clair ou génial que ça ;
- en vous faisant profiter de siècles de connaissances accumulées (Venkatesh Rao, l’être le plus intelligent que je connaisse sur Internet, propose d’envisager l’intelligence artificielle comme du temps artificiel et compressé, que l’on attache à son esprit comme une prothèse cybernétique) ;
- en raccourcissant la boucle de rétroaction entre vous et vos écrits.
Les LLM eux-mêmes sont prompts à reconnaître leurs limites et biais en tant que partenaires d’écriture créative, mais il suffit d’en avoir conscience pour apprendre à les utiliser à bon escient. Une machine désincarnée ne pourra pas vous dire si le passage que vous venez d’écrire est bien senti (on n’a pas encore inventé de sensibilité artificielle), ni l’écrire à votre place (du moins en ce qui concerne des œuvres littéraires). Mais… même si le LLM vous renvoie un monceau d’absurdités (ce qu’il fait hélas de moins en moins souvent), c’est déjà ça contre quoi écrire. Voir ce dont on ne veut pas, c’est déjà commencer à avancer. Ne vous arrêtez pas là.