Un week-end à Paris

Éloge de ma sœur. – Où file le temps ? – Daniel Cordier et Paris libéré. – Attaque au pollen, intrigue qui déconne. – Dîner au saké.

Un week-end à Paris
William Merritt Chase, Un parc municipal (détail), v. 1887. Source : The Art Institute of Chicago.

Nous avons passé le week-end dernier à Paris, presque incognito, seule ma sœur était au courant. Nous lui avons confié les filles pour 24 heures et sommes partis en amoureux flâner dans les rues de la ville. J’en profite pour saluer cette héroïne méconnue de la famille, dont la cohésion tient beaucoup à sa présence fidèle. Si j’ai pu vous écrire la semaine dernière, c’est grâce à elle (et à ma femme qui est allée chercher les filles pendant que je finissais). L’ironie d’écrire sur des sœurs perdues au lieu de passer plus de temps avec la sienne ne m’échappe pas. Mais depuis qu’il m’en manque, je suis assez jaloux de mon temps, que je protège pour écrire. C’est la seule monnaie qui compte et ne fait que décroître.

Je n’avais pas prévu de salon en raison du pont, mais avant de partir, j’avais enregistré un retour vidéo pour chaque membre du club qui m’avait envoyé une histoire – ça prend plus de temps que ça en a l’air, malgré l’excellent Screen Studio que j’utilise. J’avais veillé à voir ou revoir La Strada et prendre des notes pour vous en parler (la question continue d’être débattue à la maison : l’avais-je déjà vu ? il me semble que non, et j’ai une assez bonne mémoire pour ce genre de chose, mais ma réponse est accueillie avec un scepticisme poli). Il me restait à écrire. J’ai décidé de me concentrer sur le film, au lieu de me perdre dans des parallèles sans fin (mais intéressants) avec d’autres films qui mettent en scène des femmes sacrifiées par ou pour un homme. Je pense notamment au Conte des chrysanthèmes tardifs de Mizoguchi, mais aussi aux anti-mélodrames de Kijū Yoshida, qu’il me faudrait revoir – ô temps, reviens-moi. Pour de prochaines lettres.

Après avoir déjeuné dans une crêperie design, cachée sous une tonnelle au fond d’une cour silencieuse (je n’aurais pas dû prendre de dessert), nous avons fait l’exposition Daniel Cordier au musée de la Libération de Paris. Je dois toujours lire les mille pages de ses mémoires de résistant, Alias Caracalla, quand il était secrétaire de Jean Moulin. Nous avons pu visiter le poste de commandement souterrain du colonel Rol-Tanguy (longue descente, plus longue remontée), d’où partaient les ordres pour mobiliser et coordonner l’insurrection de Paris. Les témoignages de résistantes torturées par la Gestapo ne sont pas ce qu’il y a de plus facile à entendre (et j’espère qu’ils ne le deviendront jamais, on ne devrait pas s’habituer à la violence). Après tant de noirceur, nous sommes presque surpris de retrouver le soleil au-dessus de la place Denfert-Rochereau.

Tout allait pour le mieux jusqu’à ce que mes allergies me rattrapent et que je me perde dans une brume d’antihistaminiques. Comme ça n’a pas suffi à calmer la crise (et ça ne suffit jamais), j’étais en semi-apnée permanente pour échapper aux pollens en suspension dans l’air. Nous nous sommes réfugiés dans un cinéma du Quartier latin, qui projetait le dernier Wes Anderson. On ne comprend rien à ce qui se passe à l’écran, ni au prétendu Phoenician Scheme, et ce n’est pas seulement dû aux médocs – l’intrigue est prétexte à déconner. Benicio del Toro est très bon dans son rôle de père distant qui :

  1. ne cesse de réchapper à des morts violentes ;
  2. a survécu à toutes ses femmes ;
  3. cherche à se réconcilier avec sa seule fille, d’abord de manière intéressée, puis par amour.

Nous finissons la journée par un dîner au saké et rentrons à pied dans la nuit encore chaude.

(Et non, je ne vous parlerai pas du match de foot du surlendemain, pour lequel les Parisiens ont réappris à compter jusqu’à 5, si j’en crois leurs scansions qui m’empêchaient de dormir. Rien de tel qu’un moment de liesse pour me rendre misanthrope. Laissez-moi tranquille, j’essaye de dormir, allez, un autre cachet, celui-ci fera peut-être l’affaire. Oh, insomnie, borde ma parenthèse et va-t’en.)


Cette semaine sur le blog : La meilleure critique & Long terme.


De mes archives · mars 2019

4 lettres : Visez la fin du siècle, Dans votre poche, Défier l’écran blanc & Comment écrire à un écrivain.


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