Intermède d’équinoxe

Une lune sur pilotis, une contre-offensive en orbite et un super-héraut à jet pack menant une troupe de poètes à l’assaut du Soleil. Attention aux retombées.

Intermède d’équinoxe
Bokushin, Des multitudes de grues (détail), 1863. Source : Art Institute of Chicago.

Bienvenue aux nouveaux abonnés. Cette lettre est un peu différente de celles que j’envoie d’habitude. Elle est dans la même veine que la lettre 063 où j’improvisais déjà un poème spéculatif. Le côté fantasque est ici plus marqué, mais il n’exclut pas vers la fin une certaine mélancolie. Je l’ai écrite avec beaucoup de plaisir. N’hésitez pas à me répondre pour me dire ce que vous en pensez.


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L’équinoxe de printemps approche. Enfin ! Le jour sera aussi long que la nuit, équilibre touchant et fragile (oh, si fragile), avant que notre monde, qui n’accepte que les rapports de force, ne bascule de nouveau, mais dans le sens inverse ; le soleil, tout renflé de ressentiment, relâchera de moins en moins son emprise sur le ciel. À nous brûlures, canicule et rhume des foins. Lune défaite, qui vengera ton règne ? Moi ! (si tu le souhaites). Je volerai le Soleil et de ses durs rayons t’érigerai un royaume sur pilotis.

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Blague à part, un peu de lumière ne vous fera pas de mal. Il est temps d’arrêter de jouer aux vampires & zombies et de retrouver visage humain. Remisez vos figurines dans leurs emballages et changez-vous, pour changer ; laissez choir en tas bariolé pyjama ou jogging – l’un comme l’autre dessine sur le sol le contour froissé de votre corps – et revêtez une forme qui vous flatte. Une silhouette se soigne et vous soigne.

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Et dans votre costume de super-héraut à jet pack, colportez la résistance héroïque de la Lune envasée dans l’oubli, recrutez poètes et assassins sans autre attache que la plus mineure des causes perdues – j’en suis, bien sûr – et libérez-la. Attaquant tout ce qui dépasse, je mène la contre-offensive en orbite et, dans une fantaisie d’égalité, arase d’un trait le Soleil – alors qu’une semaine plus tôt je l’aurais hissé haut. Ma passion de contredire, ne souffrant aucune retenue, s’est une nouvelle fois retournée contre moi.

2

Quand tout sera fini et que les derniers rayons seront retombés sur Terre comme des pals chauffés à blanc (lent refroidissement d’un mois qui laissera comme un hérissement ondulé à la surface du monde), nous pourrons ressortir de nos cartables de quoi écrire la minute de cette guerre d’une seconde. Tous ses héros ne sont pas dignes d’éloges. Le sac de Vénus, le viol de ses vestales qui lévitaient dans un songe de lait éternel, l’énucléation des astronomes témoins de leurs sacrilèges… Vous ne dites rien, soudain ? Les conquêtes ne sont pas belles et je n’aime pas gagner.

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Je m’en retourne chez moi et retrouve à ma fenêtre arbres en fleurs et allergies. Déjà ! La Lune a honte et ne veut plus me voir. Elle pleure toutes les nuits à emplir la belle vasque de ses mers, qu’elle rêve de vider sur les hommes pour les outrages perpétrés en son nom. J’éternue tout le jour et me mouche à m’en tordre le nez, sinon le cou, qu’il serait si facile de briser sous une branche du jardin. Mais atchoum ! – les astres s’envolent au loin, me laissant seul sous le ciel vide de mes remords.